Dans cette série sur le bonheur (voir le premier article ici), regardons cette fois comment avoir le sentiment de mener une vie remplie et satisfaisante. On peut être heureux en choisissant un quotidien riche, qui active un sens de l’accomplissement immédiat. Mais on peut aussi considérer l’existence sur une grande échelle et s’interroger sur nos valeurs plus fondamentales.

Pour cela, un des bons moyens de réaliser ce qui nous rend heureux est d’examiner ce qu’on regretterait profondément en tant que femme, par exemple au seuil de la mort, et qu’on n’aurait plus jamais l’occasion de refaire.

Mais typiquement, on est assailli par les regrets bien avant. Quand on atteint la cinquantaine, on réalise qu’on est plus près de la fin de sa vie que du début. Cette existence qui est la nôtre aura une fin, que l’on distingue de plus en plus. Il y a du « maintenant ou jamais » dans la période qui suit la ménopause.

C’est donc un excellent moment de s’attaquer aux regrets avant qu’ils ne nous submergent.

Affronter ses regrets, bien en face, nous permet de rebondir dessus. Tirer les leçons de ce qui nous manque, que nous n’avons pas su mettre en œuvre, voilà ce que nous allons faire aujourd’hui.

1- L’importance de la date et des échéances

On a régulièrement l’occasion de faire le point sur sa vie, notamment grâce aux naissances (par exemple celles de nos petits-enfants) et aux décès (de nos parents). On le fait aussi à l’orée d’une grande date, 50 ou 60 ans. Quand on apprend que l’on est atteinte d’un cancer. Quand on se résout enfin à divorcer. Quand nos enfants quittent la maison. Ou juste avant la retraite, la nôtre ou celle de notre conjoint (la retraite signifie la fin de la possibilité de se réaliser par le travail rémunéré, ce qui est quand même une sacrée étape).

Ces dates, échéances, événements sont autant de risques de plonger dans une crise existentielle. Celles où l’on se demande ce que l’on vaut, ce que la vie attend de nous, ce qu’on apporte vraiment au monde. Celles où l’on devine que l’on n’a pas fait tout ce qu’on pouvait, qu’il y a des choses, des êtres, des états d’âme en nous qui n’ont pas encore fleuris. On sent bien que si on ne réalise pas ses besoins-là, les regrets vont nous envahir et vont prospérer, jusqu’à nous transformer en des personnes que nous n’aimerions pas devenir.

Alors aujourd’hui je vais vous demandez un effort un peu plus ardu que d’habitude. Mais un effort qui doit être constructif, et qui vise à vous éviter de vous torturer inutilement lorsqu’il sera devenu trop tard. Fermez les yeux, et imaginez-vous sur votre lit de mort. Vous pouvez encore revenir en arrière, mais c’est votre ultime chance. C’est le moment de reconnaitre ce que vous n’avez pas osé faire, ce que vous avez négligé, surestimé, oublié, dévalorisé, dilapidé, agressé, détruit. C’est le moment d’être courageuse.

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2- Regret d’avoir subi les transformations du corps féminin

Nous, les femmes quinquas, sommes typiquement prises entre deux feux, cernés par des regrets irréconciliables, et vous les avez déjà devinés : celui de ne pas avoir passé assez de temps dans notre couple et famille, et celui de ne pas avoir réalisé nos ambitions professionnelles. Enfants ou travail, comment choisir ?

En réalité, chaque fin d’une phase de vie dont on perçoit qu’elle possède quelque chose de définitif peut nous apporter des regrets existentiels. On connait déjà le passage des 40-45 ans, où l’on ne pourra plus avoir d’enfants (la première naissance est d’ailleurs tout autant l’occasion de regretter d’en avoir eu).

Toute transformation physique irréversible peut nous inciter aux regrets : passage de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte puis à la ménopause puis à la vieillesse. Notre corps est notre première possession, c’est même la même chose qui n’appartient – en principe – qu’à nous, de la naissance jusqu’à la mort. Comme le corps féminin est particulièrement influencé par les étapes de la reproduction qui le transforme de façon très visible, il est logique que nous nous languissions de ce qu’il a été.

3- Regret de ne pas s’être détachée des pressions matérialistes

Notre physique n’est pas la seule source d’amertume, loin de là. Les relations avec autrui, celles que l’on a subi et celles que l’on n’a pas suffisamment entretenu, viennent très haut dans la liste de ce que l’on aurait dû mieux mener. Mais les liens (tous les liens : notre conjoint, notre famille, nos voisins, nos collègues, etc.) sont souvent mis malgré nous en deuxième position, après la carrière et l’obligation financière.

Oui, notre vie est matérielle. Nous sommes des consommatrices avant tout, très conscientes de la nécessité gagner de l’argent et de le dépenser – beaucoup plus que ce que nous nous avouons – mais regrettant souvent de nous être laisser prendre à ce piège, aux dépends des plaisirs et devoirs relationnels.

C’est une des grandes ambigüités de notre génération : avoir lutté pour accéder à l’autonomie et à l’expression de notre ambition ET déplorer que celles-ci se manifestent par une sur-importance du matériel sur le relationnel.

Si les mères d’hier se sont longtemps plaintes d’avoir été délaissées socialement, cachées au sein de leur foyer, celles d’aujourd’hui expérimentent davantage de regrets typiquement masculins :  ceux d’avoir privilégié le travail avant tout, y compris avant la famille (celle qu’elles ont eu et celle qu’elles n’ont pas eu).

4- Regret de ne pas avoir été capable de tout accomplir en même temps

La vie sociale et publique est une grande source de regrets, surtout pour les femmes de notre génération : ne pas avoir suivi les études que l’on aurait voulu, ne pas avoir pu habiter là où on aime vivre, ne pas avoir obtenu les postes pour lesquels on s’est battue – ou ne pas avoir eu le courage de se battre pour ce qu’on pensait pouvoir atteindre et obtenir.

L’ambition professionnelle non réalisée entretient beaucoup de nos chagrins et le sentiment d’impuissance qui nous anime, surtout après la ménopause quand on réalise que les années de travail qui nous restent diminuent à toute vitesse et que la date de la retraite approche.

On a été massivement présentes sur le marché de l’emploi, mais fréquemment pour des postes subalternes ou de moindre envergure. S’occuper de sa famille, n’est-ce pas irremplaçable ? avons-nous pensé. Hélas nos dizaines d’années d’école nous ont appris bien davantage à gérer un projet salarié qu’à organiser une vie complexe de femme, conjointe, mère, citoyenne et amie. 

Notre cœur balance forcément entre la fierté de l’avoir mené, cette carrière (bien plus que nos prédécesseures) et la déception de ne pas en avoir tiré le meilleur. La multiple vie des mères que nous avons été, avec le stress, les sacrifices et les tensions qu’elle suscite, crée un regret permanent, qui semble presque insoluble.

Nous n’avons jamais appris à tout faire à la fois, mais nous n’avons pas non plus mis en place d’outils qui nous y aident vraiment. On en peut pas uniquement compter sur nos conjoints pour nous décharger, surtout quand s’ils sont inexistants. Un énorme travail d’organisation et de gestion des priorités nous attend.

5- Regret de ne pas avoir su organiser sa vie dans son ensemble

Pour que cette vie soit épanouissante, il me semble que nous devons effectuer un vaste travail de conceptualisation et de formation du couple parental, de façon à structurer, organiser, prévoir et surtout alléger cette étape cruciale de notre existence. Si l’on veut que les familles prospèrent et que les femmes continuent à avoir des enfants, il ne faut pas se contenter de pousser les hommes à faire le ménage et la cuisine. Il faut comprendre la totalité de ce qui se passe pendant les 15 à 25 années où le noyau familial prime, et organiser la vie professionnelle autour de cela, plutôt que le contraire.

Là encore, c’est à nous de servir de rôle modèle auprès de nos enfants, en les incitant à prendre du recul et à relativiser les différentes pressions sociales subies. Chaque chose en son temps, c’est le message que nous devons faire passer. Nous pouvons ponctuer notre vie de femme d’étapes distinctes qui soient plus épanouissantes que de tout faire à la fois. Nous n’avons pas su le faire pour nous, mais nous pouvons toujours aider les plus jeunes à le comprendre et le mettre en œuvre.

Il me semble que les regrets féminins naissent beaucoup plus tôt que les regrets masculins – et qu’ils nous suivent comme des ombres, tout au long de notre vie. Mais beaucoup des jeunes femmes que nous avons élevées tentent de capter la lumière et de la conserver en se débarrassant des regrets à la racine, avant qu’ils ne se forment, comme de mauvaises herbes qui ne pourraient que les étouffer. Nous verrons dans dix ou vingt ans comment la société globale s’est accommodée de ces choix de vie.

6- Regret d’avoir été passive et docile

Les études scientifiques montrent qu’on regrette beaucoup moins d’avoir agi que de n’avoir pas agi. Mieux vaut donc de faire une erreur que de ne rien faire. Pourtant là encore, j’ai l’impression que ne pas entreprendre, c’est un comportement plutôt féminin : on attend que tout le monde soit content plutôt que d’imposer nos choix. Je mettrais ma main au feu que les hommes s’embarrassent moins de ces scrupules et profitent des opportunités de façon plus frontale (c’est en tous les cas ce que l’on attend d’eux, non ?).

Vivre selon les desirata des autres plutôt que des nôtres, c’est le premier regret exprimé en fin de vie. Reconnaitre, en fait, que le déroulé de notre vie ne nous a pas appartenu. Que nous n’avons pas été authentique – jamais vraiment nous-même. Au contraire : nous avons emprunté les habits d’un tiers (parents, enseignants, amis, journalistes, société) qui n’étaient pas taillés pour nous, parfois trop grands, parfois trop petits.

Nous n’avons pas su vraiment nous révéler aux yeux du monde, laisser une trace, utiliser nos talents. La peur du jugement a été la plus forte : nous n’avons su que chercher à plaire, ou à gérer le minimum du quotidien, même si on n’aimait pas ça, même si on en avait un peu honte.

Nous avons voulu servir les autres, mais nous en sommes devenues dépendantes.

C’est peut-être cela qui ressort au moment du départ des enfants, cette fameuse période du nid vide. Personne ne nous dit quoi faire, pour une fois, et c’est très déstabilisant. Car tant qu’on est fille puis mère, on suit le fil conducteur de la « maternité sociale », une mission reproductive qui se transmet automatiquement de génération en génération, qui se dévoile d’elle-même sans qu’on ait besoin de se remettre en question…

7- Regret de s’être déçue soi-même

Malgré tous les discours sur l’émancipation de la société, le conformisme et l’inertie nous rongent. D’ailleurs les réseaux sociaux sont conçus pour renforcer les messages qui nous flattent, jusqu’à l’obsession. Finalement cette mode du Moi, « d’être soi », c’est assez souvent se contenter de ressembler aux autres. Peu de personnes sont capables d’être vraiment transparentes, activement sincères, tout en maintenant une communication fluide avec autrui. Peut-être sommes-nous inconsciemment convaincues que la cohésion collective passe par un comportement commun, des réactions semblables, et que l’homogénéité, plutôt que la diversité, nous lie ?

(Sur un plan individuel, je suis toujours frappée de découvrir que des certaines femmes ne se sont jamais montrées nues et/ou démaquillées devant leur conjoint. Il leur est impossible de dévoiler leur vraie nature, de ne pas être à la hauteur de l’image qu’elles se sont fabriquées d’elles-mêmes et qu’elles imposent aux autres en croyant les valoriser. Idem pour ces autres qui révèlent ne sortir en public qu’en serrant leur ventre, pour avoir l’air plus mince).

Réaliser que nous sommes devenues ce que les circonstances attendaient de nous, que nos choix ont été minimaux, cela provoque une déception sournoise. Cela arrive à tout le monde à un moment ou à un autre, à différents âges de la vie et notamment chez les jeunes adultes. Mais parfois la désillusion dure, dure… provoquant solitude, maladies, burnout, séparations… et des litres de larmes.

Se décevoir soi-même, voilà une blessure d’orgueil qui devrait nous alerter : elle révèle un besoin de se dépasser. C’est donc une vraie piste de vie.

8- Regret de ne pas avoir entretenu son corps

D’autres regrets proviennent de notre corps de femme, ou plutôt d’une utilisation mal ajustée de notre corps dans un environnement donné. Ne pas prendre soin de sa santé, c’est se retrouver un jour ou l’autre avec des douleurs chroniques ou aigües. On ne peut pas passer sa vie à s’inquiéter, bien entendu : apprécions les plaisirs de la vie sans quoi, évidemment, on les regrettera. Mais on ne peut pas non plus fermer les yeux.

Ce couple « contrainte/plaisir », sa répartition et son intensité, définit chaque individu. Il est fondamental de l’avoir en tête, donc de bien se connaitre, pour ne pas risquer de faire des choix qui nous porterons préjudice. Nous n’accepterions pas d’avoir vécu une existence tout en rigueur si nous aimons rire et danser. Nous regretterions tout autant d’avoir mené une vie au ralenti si nous aimons résoudre et diriger.

L’entretien de son corps, c’est la base de la vie. Je vous ai souvent parlé de ma belle-mère Carolyn, décédée à la suite de multiples problèmes physiques qui l’ont rendue addict aux anti-douleurs. Rien n’a pas lui faire changer d’avis alors qu’il en était encore temps. Elle n’a pas modifié d’un cheveu sa façon de manger ou de boire, elle n’a pas effectué un seul trajet à pied autre que nécessaire, mais elle a travaillé tant qu’elle a pu, tirant toute sa joie et sa fierté de son boulot.

Elle m’a confié en toute fin de vie regretter amèrement ces choix (et elle m’a demandé de m’assurer que son fils – mon mari – ne suivrait pas le même chemin). Mais je vous l’assure, c’était vraiment les siens, ses choix à elle, revendiqués maintes fois et en toute conscience. Elle ne pouvait pas (elle ne voulait pas) travailler ET faire de l’exercice ET manger sainement. C’était trop d’efforts, elle n’avait pas l’énergie suffisante pour tout faire.

9- La chance de pouvoir regretter… car on peut toujours changer

Je sais désormais que sommes toutes de petites Carolyn en puissance, caractérisées par des pratiques choisies ou subies qui déjà, creusent notre tombe. Soyons vigilantes sur ce plan de la santé, ça serait vraiment idiot de souffrir, et de laisser notre entourage souffrir, car nous ne voulons pas changer nos habitudes.

Je reconnais qu’il est très difficile de satisfaire à toutes ces pressions sociales à la fois donc il est essentiel qu’à nos âges nous prenions le temps de réfléchir à ce qui est vraiment vital pour la suite de notre existence, et d’agir en conséquence.

Et enfin, n’oublions pas que les regrets exprimés en fin de vie ne seront formulés que par celles d’entre nous qui auront encore toute leur tête – sous-entendu sans démence, sans souffrance écrasante empêchant de prendre du recul sur le passé. Voilà une bonne raison de garder la forme et de mener une vie saine, de corps et d’esprit.

La totalité de ce blog est consacrée au renouveau des femmes et des mères après 50 ans : ménopause, vieillissement, alimentation, carrière, amies, sexe… Je traite de la multitude de sujets qui nous préoccupent, sur une centaine d’articles. Mais avant tout, abonnez-vous à ma newsletter du dimanche matin : je me lève tôt pour vous donner des idées, du courage et de la joie !

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Et vous, quels sont vos regrets d’aujourd’hui et demain ?

Parlez-nous de vous dans les commentaires et dites comment vous vous y prenez sur cette question importante.


    4 replies to "Regrets : que faire avant qu’il ne soit trop tard ?"

    • Isabelle

      Merci pour cet article.
      Je regrette une chose : de ne pas avoir pû faire une psychanalyse plus tôt… je ne pouvais peut-être pas, ce n’était peut-être pas le moment… mais après plusieurs années de psychanalyse, je me découvre … je découvre que vivre, ce n’est pas être dans un idéal , mais accepter qu’en chacun, il y a du bon et aussi du mauvais. Que les souffrances du passé sont là, les intégrer. La psychanalyse m’a permis de passer un cap. Je viens de passer la cinquantaine et j’espère vivre encore longtemps pour échanger et transmettre mes valeurs profondes, avec la conviction profonde que chacun trace son chemin, mais que rien n’est perdu. Merci pour le témoignage de chacune.

      • Véronique

        Bravo Isabelle pour votre courage. Accepter « qu’en chacun il y a du bon et aussi du mauvais », ne pas se voiler la face, être lucide en fait, c’est la meilleure façon d’évoluer : grandir à partir du réel, pas à partir d’idées préconçues que nous nous faisons sur nous-même. L’honnêteté libère. Tout le monde gagne à suivre une telle démarche, pour ma part je l’effectue avec vous, au travers de ce blog : c’est vous toutes qui êtes mes psychanalystes !

    • DESHAYES

      Bonjour Véronique, merci pour cet article très intéressant et bien écrit. J’ai accompagné plusieurs proches dans leur fin de vie. J’ai été profondément touchée par les regrets qu’ils ont exprimé. C’est un sujet passionnant. Merci vraiment de l’avoir traité ainsi. Nous pouvons espérer, et c’est l’un des remèdes à tous les regrets. Souvent la vie nous fait des cadeaux inattendus, qui peuvent nous consoler et nous faire oublier nos regrets, même en fin de vie. C’est un. cadeau que vous ayez repris l’écriture de votre blog, ça me manquait beaucoup de retrouver vos articles. Bon courage pour votre travail, bonne journée. A bientôt. Marie Josée

      • Véronique

        Merci Marie-Josée pour vos encouragements. Je sais que vous avez frôlé la mort, personnellement ou par vos proches, plusieurs fois au cours de votre vie, vous connaissez donc forcément ce chapitre des regrets. Espérer, oui, cela doit ne jamais ne nous quitter…

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