Récit de vie, se raconter pour trouver sa clé

Un récit de vie, mais pourquoi donc ? Est-ce qu’on a mille vies… ou mille histoires ? Quelle est notre préférée ? Je me demande toujours pourquoi certaines d’entre nous retiennent davantage les événements tragiques comme marqueurs fondamentaux de ce qu’elles sont devenues, alors que d’autres se reposent sur l’opinion d’un tiers (même si elles en souffrent), les échecs sentimentaux, les réussites professionnelles, ou à toute autre type d’accroche.

En fin de compte, l’art de vivre, c’est très souvent notre capacité de storytelling. C’est-à-dire celle de se raconter notre propre histoire, de choisir des éléments déterminants et de tracer un itinéraire cohérent, irrésistible, presque fatal, à partir d’une foultitude de faits et d’impressions. De donner de l’importance à ceci, et de l’insignifiance à cela.

Dressons enfin notre autoportrait, et tâchons d’en être fière !

1- De l’avantage de se différentier de son prochain

Les recherches scientifiques décrivent combien notre cerveau sélectionne des actes, des relations, des événements, et construit une narration tout autour. En fait, on se souvient très peu de tous ces micro-événements qui constituent notre passé, mais on invente un lien entre ceux dont on décide de se rappeler. Notre cerveau se charge de trouver ce fil conducteur sur lequel on s’appuie pour grandir. Littéralement, on construit notre histoire – même si des centaines, des milliers d’autres personnes pourraient choisir une autre interprétation des mêmes faits.

Notre qualité en tant qu’individu n’est pas la somme de ce qui nous est arrivé, mais uniquement ce que l’on choisit de retenir – et d’oublier. 

En pratique, nous passons notre temps à travailler l’écriture de notre propre parcours. Chercher les coïncidences, évaluer le déterminisme, construire une intrigue, foncer vers ce qui renforce nos convictions, se conformer ou pas à ce que notre entourage perçoit de nous… voilà une vraie passion humaine. Elle occupe une grande partie de nos pensées, surtout pour notre génération qui côtoie tant de bouleversements technologiques et culturels.

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Il y a des milliards de personnes sur cette planète, mais une seule est « moi ». Enfin, c’est ce que l’humanité du XXIème siècle nous impose de penser : nous sommes des êtes singuliers, bien avant d’appartenir à un groupe, à une génération, à un territoire. C’est cette singularité qui demande un vrai travail de tri de notre mémoire – et entraine un doute permanent sur ce que nous sommes, en nous plaçant dans une compétition existentielle face à nos pairs.

Comment est-ce que l’on se distingue ? Comment nous reconnait-on ? Si un Martien débarquait du ciel et qu’il fallait qu’il nous trouve, il me semble qu’il le ferait bien plus facilement en utilisant la façon subjective plutôt qu’objective. Comparer les narratifs de chacune (au lieu de tenter de nous identifier sans avoir de données statistiques sur notre corps et notre situation) constitue le meilleur moyen de repérer ce que nous, femmes occidentales, estimons être.

L’avantage, c’est que le passé et le futur y sont inclus, ce qui nous agrandit drôlement, au propre et au figuré. 

2- La frise, une forme dessinée du récit de vie

Tout cela me fait penser à une expérience que j’ai faite récemment. 

Si vous dessinez votre « frise de vie », quelles étapes allez-vous choisir et comment est-ce que vous les positionnez ? C’est ce que l’on m’a demandé de faire récemment, ainsi que les 5 autres membres d’un petit groupe, sur une feuille de papier en format paysage.

Ça n’est pas tous les jours que l’on nous demande de nous raconter sans mots.
J’y ai pris beaucoup de plaisir.

D’entrée, j’ai divisé ma feuille en deux parties égales : ce trait vertical, c’était la naissance de mon fils. Sur ma frise, j’ai ensuite posé des blocs de couleurs : les lieux et pays où j’ai vécu, tellement contrastés qu’à chaque déménagement j’ai eu l’impression physique d’avoir mué. Puis quelques dates remarquables, entourées de cercles multiples, au point de ressembler à trois amas distincts : mon départ en congé sabbatique en Asie, la rencontre d’avec mon mari, la création de mon blog. 

Autour de moi, certains du groupe ont choisi les ruptures amoureuses comme marqueurs de vie. Elles avaient pris une importance énorme et étaient devenues, par choix, structurantes dans l’image que leurs auteurs se faisaient d’eux-mêmes. D’autres ont privilégié les rencontres, amicales ou autres. L’un d’entre nous n’a pas dessiné une frise mais un arbre, avec des racines, des branches et des feuilles. La généalogie comptait beaucoup pour lui, d’ailleurs il parle souvent de sa famille, de ses origines.

3- Comment trouver le dénominateur commun de l’existence ?

J’ai noté quelque chose qui ne m’avait jamais frappé avant : j’étais la seule à avoir choisi une position géographique comme référence digne de choix, marqueur « officiel » du temps qui passe. Le lieu est mon repère, aujourd’hui, hier et demain. Il détermine mon état, mes états – physique, émotionnel et mental. Ce sont peut-être mes années d’enfance passées en pleine campagne, un peu isolée du monde mais fascinée par la vie des champs et des forêts, qui m’ont donné le désir d’explorer la richesse d’autres endroits, de partir et de vivre ailleurs – et même dans plusieurs « ailleurs ».

Pour moi, les pays, les montagnes, les villages et les villes sont devenus bien plus que des zones d’habitation : ce sont des éléments inhérents à ma transformation personnelle, au chemin de mon existence. J’ai mis d’ailleurs longtemps à comprendre que les autres n’ont pas souvent le réflexe de partir quand ils ont besoin de renouveau, de progrès, d’avenir. Je ne voyais pas comment ils pouvaient s’y prendre différemment et je ne comprenais pas comment ils pouvaient s’exprimer sans cela.

Aujourd’hui encore, je ne peux m’empêcher de conseiller à ceux qui sont malheureux ou qui s’ennuient de déménager vers l’inconnu. Pour moi c’est LA solution, évidente et toujours efficace. Pour eux ça fonctionne parfois… mais ça peut aussi constituer une épreuve – ou plus communément, ne rien résoudre en particulier.

Le fil emmêlé de ma vie se délie lorsque je le contemple d’un autre endroit. C’est ainsi. Depuis le temps, j’y suis habituée, et je trouve rapidement des repères et des challenges (indispensables pour la paix bouillonnante de mon esprit – la sérénité contemplative, ça n’est pas mon truc sur le long terme).

4- Derrière le récit de vie, on identifie notre style

Donc sur ma frise, il y a de gros rectangles de couleurs qui s’alignent à l’horizontale (mes « abscisses » à moi), trois ilots ronds et joufflus placés juste en dessous et une ligne verticale qui divise la feuille en deux (mon « ordonnée »). Ces ronds correspondent, maintenant que j’y pense, aux pics de ma créativité et de mon expressivité : l’amour, le voyage, l’écriture. La colonne dorsale, qui structure ma frise, c’est mon fils chéri.

Les proportions des éléments graphiques varient sensiblement, mais le tout demeure assez géométrique, ce qui me rassure :  j’aurai toujours un gros bloc de couleur qui succédera à un autre, des ronds rassurants et bien visibles… et peut-être une autre ligne verticale qui viendra un jour se glisser dans ma petite symphonie personnelle.

Quand j’ai montré ce dessin à mes camarades, ils ont, d’une seule voix, reconnu un train en marche. Un train ! Je n’y avais pas pensé une seconde. 

Alors en regardant attentivement cette frise, j’ai compris une autre chose : je suis toujours en mouvement. Je suis le mouvement. C’est mon style. Mon histoire, c’est d’avancer. Ou plutôt, mon cerveau a décidé de conserver les seuls morceaux de mon parcours qui bougent. Ce sont des plages animées et remplies de personnes, qui se succèdent les unes derrière les autres. Parfois, elles sautent d’une étape à l’autre avec moi – parfois pas. 

5- D’autres méthodes pour d’autres découvertes

C’est un peu schématique (et même beaucoup) mais quand même : donner une forme à son existence, c’est rassurant. On peut aussi passer par l’écriture et se plonger dans son pitch personnel, qui consiste à se raconter en une, deux ou trois minutes, top chrono. Le principe a été inventé par des investisseurs de la silicon valley chargés de financer des startups. Pour se faire repérer parmi des centaines d’autres créateurs d’entreprise, leurs propriétaires devaient pouvoir les intéresser à leur projet de façon super rapide. Un pitch se répète minutieusement, le résultat est donc beaucoup moins spontané que la frise, mais tout aussi choisi – oui, la spontanéité n’est que de façade, au moins pour notre cerveau. 

Sur ce thème, consultez aussi ces articles : Bâtir sa réputation, en public et en privé ainsi que Croyance : notre vie détermine ce qui nous mène

Une autre méthode encore serait de reprendre ses agendas, année après année, et en relever les grandes et petites choses qui nous ont marquées en temps réel. J’aime beaucoup cette façon de réaliser que, décidemment, notre vie est bien remplie. Le seul problème est d’avoir réussi à conserver ses agendas. Je vous parlais de ce concept dans cet article sur l’art de faire le point sur sa vie.

Faire ma frise pour synthétiser mon récit de vie, ça m’a galvanisée. Essayez-donc, vous aussi.

La totalité de ce blog est consacrée au renouveau des femmes et des mères après 50 ans : ménopause, vieillissement, alimentation, carrière, amies, sexe… Je traite de la multitude de sujets qui nous préoccupent, sur une centaine d’articles. Mais avant tout, abonnez-vous à ma newsletter du dimanche matin : je me lève tôt pour vous donner des idées, du courage et de la joie !

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Et vous, que voyez-vous lorsque vous créer votre récit de vie ?

Racontez-nous votre expérience pour que nous puissions aussi en profiter.


    2 replies to "Récit de vie : toutes ces histoires qui nous forgent"

    • Christine Bodineau

      Il est extra cet article ! Preuve que nos vies sont les récits qu’on en faits ou qui en sont faits car au sein d’une fratrie, tel ou tel événement ne sera pas du tout le même souvenir pour l’un et pour l’autre, rien n’est faut, déjà, chacun ne s’est pas rappelé des mêmes choses + le ressenti du réel n’est pas le même d’une personne à l’autre. Par ailleurs, on ne peut s’empêcher d’interpréter le réel vécu ce qui peut le modifier.
      Mis à part des situations extrêmes, ce qui est important, c’est le ressenti, le souvenir de ce qui s’est passé qui permet d’aller bien ou pas. Pour l’attente de mon deuxième enfant, j’ai du rester 3 semaines alitée car le bébé était prêt à naître à 6 mois de grossesse. Et bien comme la suite c’est très bien passée, quand on m’interroge sur mes grossesses, je dis toujours que j’ai eu de la chance, qu’elles se sont super bien passées et les gens qui savent mon histoire sont surpris et ajoutent « quand même, tu as du être immobilisée pendant 3 semaines alors ça ne s’est pas bien passé » mais sincèrement, mon ressenti est que ça s’est très bien passé car vu le très bien d’après, ma mémoire a effacé/gommé ou non rendu comme un obstacle infranchissable, le moins agréable.
      Nous sommes donc tous des écrivains, notre premier livre, c’est notre vie ! 🙂

      • Véronique

        Merci Christine ! Oui, le ressenti compte, à tel point qu’il peut nous galvaniser ou nous détruire… pour la vie. C’est fou comme nos émotions, et donc notre corps, décide de notre destinée entière. D’où l’intérêt de nous maitriser, de nous relaxer et de relativiser nos blessures, comme si on était une personne extérieure. Peut-être faudrait-il écrire 3 ou 4 récits de notre vie et les interchanger selon les circonstances ?

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