Si on donne, autant donner jusqu’au bout

Avec une formation juridique, une carrière, un mari d’origine étrangère et deux enfants, cette native du Pays basque avait tout pour elle. Mais la vie a réservé à Marie-Josée une série de (très) mauvaises surprises médicales et personnelles, depuis une dizaine d’années. Elle nous raconte son parcours avec sa voix douce et agréable – Marie-Josée s’exprime de façon limpide, précise, toujours élégante. C’est une chance qu’elle possède ces qualités d’expression, qui lui permettent de dire la peine et l’espoir sans détour et sans fard.

Elle nous raconte ce qu’elle a vécu, et dont elle commence à émerger. Marie-Josée a vécu deux chocs rares : d’abord celui d’apprendre qu’elle allait mourir, puis des années plus tard, celui d’apprendre qu’elle allait survivre. Elle nous encourage à lutter contre la fatalité, et contre les pronostics les plus sombres.

Comment changer de vie après la maladie ? Lentement, pour Marie-Josée. Mais sûrement, j’en suis convaincue. Ecoutons-là :

1- 50 ans : vouloir pour nous-même

Je pensais que 50 ans, cette période où les femmes et les hommes se sentent chamboulés, c’était une idée reçue. Je croyais que l’âge était abstrait. Mais c’est bien une réalité. 50 ans, c’est un âge d’interrogation, de bouleversement physique. On est face à soi-même, alors qu’on a passé le milieu de vie. On fait le point sur son passé, on fait les comptes pour évaluer le chemin parcouru, pour en tirer les leçons apprises : comment vais-je construire les années qui sont devant moi ? Le temps qu’il nous reste est précieux, il faut l’utiliser pour être heureux, être utile à la société.

Les hommes aussi connaissent la crise. Ils ont besoin d’être séduisants. Parfois cela ne donne pas de bons résultats, à mon avis. Ils refont leur vie, ils recommencent avec une femme plus jeune. Les hommes sont dans la destruction, ils sont plus égoïstes. Nous, on est dans la construction : forcément, on avance. On veut des choses solides, on sait enfin ce que l’on veut, pour nous-même.

2- Le sens de la maladie

Parmi les éléments qui m’ont définie pendant ces 50 années, il y a d’abord le fait que j’ai été longtemps malade. Je me suis enfoncée très profondément dans la maladie ; aujourd’hui je reviens de loin. Cela donne un sens à ma vie, même si c’est douloureux. A l’époque, mes enfants étaient très petits : ma fille était bébé, mon fils avait 7 ans et demi. Je me suis aperçue que l’amour maternel apporte une force terrible, absolue. A l’hôpital, j’ai rencontré d’autres mamans et j’ai été surprise de l’étendue de la force maternelle que la maladie apporte aux femmes.

On m’avait diagnostiquée une maladie génétique, qui produit des cancers à répétition. Jusqu’au jour où les médecins m’ont demandée de faire mon testament. J’allais mourir. 

Puis mon mari nous a laissé. Son départ m’a anéanti. Je l’ai vécu comme une trahison. J’étais dans une situation très précaire, j’avais peur de mourir, de laisser mes enfants sans personne. Nous avons eu des querelles judiciaires : à cause de mon état de santé, il a voulu reprendre les enfants. Ces procédures au tribunal sont traumatisantes, j’ai dû me battre pour convaincre, tout en ne sachant pas si j’allais vivre. 

Malgré le fait que j’étais malade, j’ai obtenu la garde exclusive. Depuis, nous n’avons pas de nouvelles de lui. C’est une situation cruelle, mon fils en a été terriblement malheureux, il m’a dit qu’il n’aurait pas survécu s’il n’avait pas eu ce mental solide – c’est violent à entendre, pour une mère.

Mais j’ai voulu vivre, à tout prix. J’ai trouvé ma raison de me battre, de me protéger de tous les diagnostics. Je l’ai fait pour mes enfants, c’était une question de vie ou de mort.

Ce tour de force, je ne l’ai pas fait consciemment, je ne m’apercevais pas que j’allais y arriver (je croyais les médecins, qui m’annonçaient la fin). Mais j’ai trouvé cette volonté de survie, je l’ai mise en action. Je me bats, c’est ma nature, je n’accepte pas facilement la fatalité. 

J’ai intégré la nécessité de faire un suivi médical régulièrement, ces contrôles font partie de mon quotidien et peuvent me sauver du pire. Cette existence avec une épée de Damoclés au-dessus de la tête est forcément différente. On prend conscience de sa chance, même sur des détails infimes. Par exemple, on a dû me priver d’eau à un moment de mon traitement. C’était une souffrance insoutenable, qui me fait apprécier chaque goutte que je bois depuis.

La maladie a changé ma vie. Comme dit mon médecin, j’ai vécu une épopée.

3- L’amour des autres

Une autre chose qui me définit, c’est l’amour des autres. J’aime les gens, depuis toujours. J’aime les observer. Ils se confient beaucoup à moi spontanément, n’importe où, dans un bus où dans une salle d’attente, à tel point que mes enfants pensent que c’est une calamité. J’aime écouter, apprendre des autres, je ne juge pas. On peut tout me dire. En plus, au fond de moi, je possède cet amour de la nature, depuis toute petite. Ça me soulage de tout ce que j’entends. J’aime le silence, le calme. J’ai besoin d’être seule, de me ressourcer, d’être dans la verdure.

Deux personnes adultes sont très proches de moi et m’ont accompagnée quand j’ai traversé la maladie. D’autres sont décédées. 

Car en fait, quand on traverse une épreuve, c’est compliqué pour les autres. J’ai pris l’habitude de ne pas parler du cancer, car c’est un sujet qui est effrayant ou peu attrayant pour la majorité des gens. Souvent les proches sont très affectés, ils tombent malades eux-aussi. Ils ne sont pas formés pour recevoir toute cette souffrance, ça leur brise le cœur. 

On s’aperçoit qu’il y a une limite à ne pas dépasser, pour le conjoint, la famille. C’est un miracle quand une ou deux personnes sont capables de nous entendre ; souvent, elles ont elles-mêmes surmonté un traumatisme. Les liens avec la famille sont réels, mais pas toujours si profonds, car on veut éviter de lui faire du mal.

De plus, certains professionnels de santé ne sont pas aptes à entendre la douleur des patients. Je me souviens qu’à un certain moment, j’étais en chimio et qu’il m’était impossible de garder ma fille. Elle était tout bébé, et hurlait car elle ne supportait pas que je la laisse. L’infirmière m’avait coupé : « Ne me parlez pas de ça, ça me brise le cœur ». Je ne pouvais pas partager ma souffrance, pour ne pas amplifier la sienne…

La maladie, les enfants qui ne comprenaient pas la situation et la séparation d’avec mon mari, tout cela a entrainé une grande solitude. A l’hôpital, on est seule. On s’y habitue, c’est une réalité dérangeante : se distraire, s’abrutir. Mais la solitude n’est pas forcément négative, elle permet de se construire, elle peut devenir une force. Pendant la pandémie, chacun s’est retrouvé face à face avec lui-même. Beaucoup n’ont pas supporté cela, mais pour moi qui y étais habituée, cela m’a aidé. 

A l’issue des confinements, mon fils va partir (il a été accepté dans la classe prépa de son choix). C’est une étape importante, car nos liens sont très forts. Je me souviens de ce jour où il m’avait demandé, très inquiet : « Maman, est-ce que tu vas mourir ? ». Je lui avais répondu que je ne savais pas, mais que j’allais l’amener voir un psychologue qui lui donnerait des réponses. Il avait été très soulagé et après trois rendez-vous, il avait retrouvé son entrain. 

Par contre, mes proches avaient été choqués par ma réponse, que je l’amène à l’hôpital pour consulter, que j’en parle avec lui. La plupart des gens ont une réaction de peur, ils ne supportent pas la tristesse. Moi non plus, je n’aime pas la tristesse ; moi aussi, j’ai envie de protéger. On a tendance à s’appuyer beaucoup sur ses proches, et pourtant il faut les préserver et accepter qu’ils ne sont pas médecins. On peut trouver de l’aide en dehors de la famille, surtout avec la Ligue contre le cancer, sans que tout le monde tombe malade.

4- L’avenir dans l’écriture ?

Aujourd’hui, beaucoup de choses me tentent, les voyages, l’envie de faire des activités qui m’épanouissent personnellement. Pendant 10 ans, j’ai vécu au travers de la famille et des soins, j’aimerais désormais avoir des projets personnels. L’amitié compte beaucoup, mais mon cercle amical s’est réduit. Le travail compte aussi, qui puisse me permettre d’être libre. 

Ce besoin de bouger est né pendant la pandémie. J’aimerais vivre comme les digital nomads, mais ma fille est encore petite. Partir dans plusieurs pays avec elle ? Je ne sais pas comment cela pourrait se dérouler, mais les choses vont venir. Bébé, on me l’a enlevée, je ne ferai rien qui puisse lui nuire. Mais quand on est mère, on porte la maison de ses enfants. On peut aller partout tout en restant stable, sécurisante.

De plus, j’ai des projets d’écriture. Notamment de dresser le portrait des accompagnants de la Ligue qui m’ont aidé. Mon but ? Redonner de l’espoir à celles qui vivent des situations désespérées. Quand je me fixe un objectif, je suis déterminée. Ma fille trouve même que je suis têtue, que je n’abandonne pas. A ce stade, c’est une qualité. Mon fils, lui, m’a complimenté sur mon choix : « Ça te ressemble, d’écrire ».

Ma famille, je l’ai construite, jour après jour, avec de l’amour, du travail, de l’attention. J’aime bâtir, avec l’objectif de construire des choses solides. Je crois en la vie, elle vaut la peine de se battre pour ses valeurs. Et je suis heureuse des liens qu’elle permet de tisser avec les autres. Si on donne, autant donner jusqu’au bout.

La totalité de ce blog est consacrée au renouveau des femmes et des mères après 50 ans : ménopause, vieillissement, alimentation, carrière, amies, sexe… Je traite de la multitude de sujets qui nous préoccupent, sur une centaine d’articles. Mais avant tout, abonnez-vous à ma newsletter du dimanche matin : je me lève tôt pour vous donner des idées, du courage et de la joie !

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Et vous, avez-vous changé de vie après la maladie ?

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    5 replies to "Changer de vie après la maladie : le témoignage de Marie-Josée"

    • Sophie

      Merci Marie-Josée pour ce témoignage partagé qui est une leçon de courage et de détermination face à l’adversité ; merci de rester constructive et positive à travers ton amour des gens; merci de nous dire et redire que « oui » c’est possible et qu’il faut garder confiance; merci de me permettre de relativiser mes problèmes. Ton témoignage est comme une main invisible qui aide à repartir quand on se sent à bout de force, de patience, d’espoir. Je ne sais ce que tu as reçu comme soutien, mais ton seul témoignage renvoie la balle vers toutes celles d entre nous qui en ressentent le besoin. Merci aussi à Véronique d’avoir su choisir les mots qui ne dénaturent pas tes propos. Ton histoire est comme une graine qui s’envole au vent et va fertiliser de nouveaux horizons.

      • Véronique

        Merci beaucoup Sophie !

    • Sophie

      Et bonne chance avec l’écriture!

    • Bodineau Christine

      J’aime beaucoup cette phrase en laquelle je crois : « Mais quand on est mère, on porte la maison de ses enfants. On peut aller partout tout en restant stable, sécurisante. » 🙂
      Je confirme qu’accompagner les proches malades n’est pas facile, on veut aider mais on ne sait pas comment. Ce qui est difficile, c’est quand la personne malade « préfère » rester seule le temps de la douleur, de l’épreuve. Un sentiment de culpabilité de non présence peut nous envahir même s’il est illégitime. Et si en tant que non malade on reste nous mêmes pouvant avoir de l’entrain, surtout par souci de communiquer cet entrain naturel pour qu’il aide à une amélioration de santé de la personne malade, on peut se sentir indécente à poursuivre son état normal. Ou bien les tout-petits tracas du non malade peuvent sembler tellement dérisoires face à une maladie importante qu’on peut s’empêcher de les exprimer.

      • Véronique

        Merci Christine pour cette remarque

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