Des salles de marché à la création d’entreprises, les conquêtes et les tourments d’une femme
A 57 ans, Sophie a eu une existence marquée à la fois par la carrière et le couple. Elle nous relate son parcours détonnant, sa révolte contre son milieu d’origine et sa recherche passionnée de l’expression de ses capacités personnelles, dans le secteur à la fois fascinant et brutal de la finance et de la création d’entreprise.
Sophie sait se brûler les ailes, et se livre avec un regard sans concession sur elle-même. Mais elle sait aussi renaître magnifiquement, comme le Phoenix. Désormais elle s’installe sur un chemin au long cours, plus équilibré. Après avoir exploré toutes les nuances de la vie conjugale et de la maternité. Voici son témoignage :
1- Les années formatrices : de l’ennui à l’exaltation
La recherche de l’exceptionnel m’a toujours habitée. Enfant, je me trouvais à l’étroit, dans un environnement étriqué. Je rêvais d’une destinée unique, à l’image de celle de mon grand-père maternel, un héros dont je voulais suivre les traces. Il était parti en Chine avant 30 ans, puis avait œuvré dans la Résistance avant de diriger une des zones d’occupation d’Allemagne. Il représentait à la fois le mystère et l’influence ; depuis sa mort, lorsque que j’avais 4 ans, je n’ai cessé de naviguer comme lui, entre ombre et lumière.
J’ai été une fillette turbulente. Mes parents étaient dépassés, on m’a matée. Rebelle dans un univers conformiste, je luttais contre la petitesse de ma vie, je recherchais ce qui est difficile, mais grandiose. J’ai toujours voulu être autonome financièrement et avec mes premiers sous, gagnés comme baby-sitter, je me suis acheté du maquillage et des chaussures à talons.
Un été, je suis partie aux USA. Ça a été un choc : on me regardait comme une jeune femme sophistiquée, tout le contraire de ce que je vivais chez moi. De retour dans cette vie morne, j’ai voulu m’échapper, et je me suis mariée très tôt, à 22 ans, avec un homme qui avait 12 ans de plus que moi. Il avait un train de vie qui me fascinait, nous vivions au milieu des voitures anciennes, des Bugatti.
2- La découverte de la finance et de l’argent : la femme d’action
J’ai fait des études économiques ennuyeuses, mais à la suite d’un stage, j’ai atterri dans les salles de marché. Là j’ai découvert que j’étais douée, que je comprenais vite les montages et les équations. Cela me donnait de la puissance, en plus de l’argent. Je vivais à Paris, dans la frénésie et l’adrénaline de l’actualité économique et financière. Je ne voulais pas d’enfant, je voulais être une success woman – le contraire de ma mère, dont l’existence était si terne à mes yeux. J’ai vite évolué vers un pic de carrière, et je suis devenue Vice-President chez JP Morgan, dirigeant une équipe, alors que j’étais encore une très jeune femme.
Mais il y avait l’envers du décor. Derrière cet étourdissement, je devenais fatiguée. Mon mari avait des aventures. A 28 ans, mon monde s’est écroulé : j’ai divorcé. En découvrant au passage qu’il m’était fondamental d’être en couple ; seule, je n’étais plus rien. Très vite, j’ai aussi été évincée de mon boulot, ce qui m’a valu une chute de prestige et une perte totale de confiance : « Qui va encore vouloir de moi ? ».
Je suis redevenue cette » fillette » résignée, devant réapprendre à vivre seule. Voyant mon entourage qui se posait et commençait à avoir des enfants, j’ai décidé à ce moment-là de partir à Londres. J’avais besoin de renouveau, d’une autre opportunité.
3- Une carrière conjuguée à une vie familiale
A Londres, les conditions dans les salles de marché se sont révélées beaucoup plus difficiles qu’à Paris. Les Anglais y étaient brillants mais parfois fourbes, j’avais du mal à m’y habituer. J’ai vu la montée en puissance des hedge funds, des fonds d’investissements d’un genre nouveau. Mon instinct me disait de me lancer, et j’ai créé ma propre société de conseil. Ça a marché !
La magie s’est poursuivie, avec la rencontre-coup-de-foudre de mon deuxième mari. Il était allemand, encore étudiant. Il avait 23 ans et moi 33. Il me sortait de mon train-train, on s’amusait. Nous vivions une vie internationale aisée, pleine de paillettes. Malgré son âge, mon mari était très mature. Il m’a accompagnée dans le parcours de la maternité et s’est occupé de mon premier fils, que j’ai eu à 37 ans. De mon côté, je bossais beaucoup, tandis que ma société décollait.
Mais après 6 ans à Londres, coincés entre la famille et le travail, on s’est sentis enfermés dans le milieu expat. Alors que j’étais enceinte de nouveau, nous avons décidé de partir en France. Ma mère était très malade, elle est morte juste avant l’arrivée de mon deuxième fils. Ce décès m’a libéré en quelque sorte de ma vie d’enfant, et cette naissance a été aussi une renaissance.
Nous habitions dans une maison agréable à Boulogne Billancourt, je poursuivais ma société. Nous vivions de belles années. Mon business décollait, je ramenais l’argent tandis que mon mari s’occupait surtout des enfants. C’était un papa-copain, alors je suis devenue celle qui structure l’éducation, pose les règles de vie, n’hésite pas à être dure, tranchante.
4- La crise : comment affronter les difficultés ?
Puis 2008 est arrivé. La crise financière m’a coupé en plein vol car les hedge funds étaient perçus comme les déclencheurs du marasme. J’ai dû licencier mon équipe, abandonner mon projet d’ouvrir un bureau en Espagne. Je me suis heurtée à un mur. En 3 mois seulement, j’ai clôturé ma société. Comme mon mari et moi avions été des cigales, on a quasiment tout perdu.
La période qui a suivi a été difficile. Je n’arrivais pas à reprendre le dessus. Mon mari a suggéré que nous partions en Allemagne, où il serait plus facile pour lui de travailler. On a donc fui à Berlin. Il voulait s’occuper de tout, et ses parents nous aidaient matériellement. Exit, la guerrière ; je me laissais mener.
J’ai entamé à cette époque une longue thérapie, car je me renfermais sur moi-même. J’avais besoin de comprendre. J’ai la sensation que je devenais angoissante.
Très déstabilisée, j’essayais d’être une maman. Je laissais mon mari prendre toutes les décisions. Je me retirais de plus en plus, et mon couple allait de moins en moins bien. En plus, à partir de 48 ans j’avais des symptômes de pré-ménopause, je me sentais hyper mal physiquement. J’étais prostrée, je ne savais plus quoi faire. La ménopause et le contexte se combinaient, je me sentais dix fois plus fragile que d’habitude.
Mon mari et moi ne nous parlions plus. Un jour, je lui ai écrit une lettre : je lui expliquais que s’il avait besoin d’être seul, je l’acceptais car je voulais qu’il soit heureux. Il a décidé de saisir la balle au bond et il est parti. Être dans son propre pays avait changé la donne, il n’avait plus besoin de mon support. Je me suis effondrée sur moi-même, alors que je cherchais du soutien en lui.
5- Entre incertitude et nouveau départ
Cette fois c’était la chute. Comme j’avais passé plus de 6 mois en Allemagne, rentrer seule en France avec les enfants était compliqué. L’avocate me pressait pour que je prenne une décision, partir ou non ? Mais on m’avait coupé les ailes, je n’arrivais plus à être combattive. Je piétinais.
Mes enfants ne voulaient pas quitter leur père, alors j’ai entamé huit années d’allers-retours, tous les 15 jours, entre la France et l’Allemagne. Mon ex est retombé amoureux, il était heureux, et moi j’étais celle qui souffrait… Malgré tout, les années qui ont suivi se sont révélées merveilleuses sur le plan maternel, je vivais à fond mon rôle de maman, différente de cette mère sévère et pressée que j’étais quand je me consacrais à ma vie professionnelle.
En 2012, j’ai rencontré mon nouveau conjoint, qui vivait en France. Nous sommes du même âge, cette fois, et du même milieu social et professionnel. Depuis, je ressens une certaine plénitude dans ma vie privée, même si c’est à mi-temps. Mais côté professionnel, je restais instable. Je n’avais pas retrouvé l’élan d’avant ma carrière, j’étais trop dirigiste pour travailler pour d’autres, et je souhaitais rester proche de mes enfants.
Finalement, en 2020, mon envie de vivre à fond, de réaliser quelque chose de marquant, s’est réveillée. J’ai remonté une entreprise avec mon nouveau conjoint. Sauf que je suis passée d’un monde spontané et réactif, à un monde stratégique et constructif. Je travaille toujours dans la finance, mais cette fois j’apporte une utilité sociale, une contribution à la lutte pour l’environnement.
6- Le désir de construction et de sérénité
Car j’investis dans les arbres. En créant des puits de carbone et des zones de bio-diversité. C’est un projet innovant qui convient à la battante que je suis. On ne plante que sur des terrains abandonnés proposés par les municipalités, et on vend de la compensation carbone aux entreprises : des arbres partout, comme solution naturelle aux enjeux climats.
Je partage la responsabilité du projet avec mon conjoint, en me sentant dans l’ombre. J’ai un besoin grandissant de trouver le ton juste pour revenir sur le devant de la scène, mais je me sens encore insécurisée. Pendant longtemps j’ai associé la réussite à l’absence de doute, au dirigisme. Cette fois, je veux trouver l’équilibre, ne plus être ni victime ni bourreau. Ne plus être la petite qui pleure, ni la grande qui casse.
Alors que mes enfants s’apprêtent à partir du foyer, j’aspire à exister entre les extrêmes, à devenir un guide inspirant pour les générations futures.
Aujourd’hui, j’ai 57 ans. Dans ma tête, alors que je réfléchis à mon désir profond de vie, s’impose cette image de tranquillité, de juste mesure. Je visualise l’horizon de mes 60 ans : je suis sur mon vélo, avec mes livres. Je me sens libre et j’avance, régulièrement, paisiblement. Sans fatigue, ni challenge. Très loin des salles des marchés.
La totalité de ce blog est consacrée au renouveau des femmes et des mères après 50 ans : ménopause, vieillissement, alimentation, carrière, amies, sexe… Je traite de la multitude de sujets qui nous préoccupent, sur une centaine d’articles. Mais avant tout, abonnez-vous à ma newsletter du dimanche matin : je me lève tôt pour vous donner des idées, du courage et de la joie !
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Vous reconnaissez-vous dans le parcours de Sophie ?
Femme, finance et création d’entreprise, peu d’entre nous su combiner les trois. Est-ce votre cas ? Votre expérience m’intéresse. N’hésitez-pas à décrire ce qui vous motive ou qui vous préoccupe sur ce sujet. Et dites-moi aussi si vous avez envie de témoigner et de partager votre vécu.
8 replies to "Une femme dans la finance et l’entreprenariat : portrait de Sophie"
Merci Sophie pour votre témoignage, à travers le l’écriture de Véronique, la femme que vous êtes apparaît clairement dans toute sa beauté et son courage. Votre sincérité et votre honnêteté me touchent dans la description de votre parcours de vie. Malgré les moments difficiles de votre vie, vous n’avez pas abandonné, c’est un grand message d’espoir pour toutes les femmes. Je vous souhaite beaucoup de bonheur dans votre vie à venir et la réalisation de vos rêves.
Merci beaucoup Marie-Josée !
Je suis très touchée par votre message MArie-José, très touchée. merci?
Merci Sophie
Je viens de découvrir Trees everywhere 🙂 Et je me dis qu’on semble être capable de toujours trouver des choses intéressantes à faire et qui nous correspondent, adaptées aux enjeux de société du moment qu’on vit, votre expérience Sophie, en est la preuve, On a une forte adaptabilité qu’il faut écouter, laisser s’exprimer 🙂
Oui, les videos liées à Trees Everywhere sont très parlantes, à regarder !
Merci! Suivez nous, parlez de nous et nous pourrons réaliser nos rêves de plantation les plus fous.
D’accord !