Qu’est-ce qui pousse à agir – à mettre en œuvre l’essence d’une idée, à faire un bond en avant, à franchir une étape ? Parfois, c’est l’ennui profond. La neurasthénie qui plonge dans le vide et la mélancolie, quelle que soit la direction où l’on regarde. L’art de se mettre au pied du mur.
Je fonctionne ainsi rituellement, tous les cinq ou dix ans. Régulièrement je me sens au bout du bout d’une saison. Je rentre dans un hiver intérieur dont j’oublie qu’un jour il sera fécond.

Cette fois ci, c’est la perspective d’avoir 60 ans qui m’oppresse.
Et qui me stimule en même temps.

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Des souvenirs construits à 15 ans, revisités ensuite

Je ne sais pas pourquoi, je n’ai jamais fêté les anniversaires, ni avec ferveur ni avec dégoût, mais là j’ai franchement l’impression que la guillotine me nargue. 60 ans, ce fut pour beaucoup (et pour mes parents) l’âge de la retraite, une revendication que j’ai vécue adolescente en France, quand l’arrivée du président François Mitterrand rimait avec l’espoir de raccourcir le nombre d’années de travail à effectuer. C’était la « bataille du temps de vivre » – le travail étant considéré comme une épreuve.

Il parait que l’on imprime pour la vie, dans son cerveau et dans son cœur, les chansons de ses 15 ans. Moi j’ai dû imprimer les slogans de la campagne électorale de 1981.

Mais plus les années ont passé, et après avoir vécu dans d’autres pays, plus j’ai réalisé que plutôt que de me libérer, la retraite allait m’enfermer. Je suis rentrée en France il y a 3 ans, avec grand plaisir, mais je n’ai jamais pu me réhabituer avec cette passion nationale pour la retraite.

J’ai compris qu’au contraire ce qui me pendait au nez, c’est de rejoindre le clan des seniors inactifs, poussés à profiter pendant 30 ans (ou plus) de cotisations payées par nos propres enfants, de moins en moins nombreux, se saignant dans le stress pour que je m’ennuie à plein temps. Et puisque les seniors entre 60 et 70 ans sont la classe d’âge la plus riche, ils sont poussés à dépenser abondamment pour faire tourner l’économie nationale.

Senior, retraite, vieillissement, 60 ans… au secours !

J’ai déjà écrit sur cette perspective redoutée ( et encore là) et sur la détermination qui m’anime de ne pas m’y plier. Je ne veux pas devenir une femme qui vit de hobbys et d’apéros en cherchant à oublier qu’elle ne fait plus partie de la « population active ». Le problème, c’est que je ne suis pas seule et les retraités envahissent peu à peu mon espace privé : je suis entourée d’amies dont les conjoints sont, se préparent ou rêvent de la retraite. (Le mien n’est ni âgé, ni français ni salarié, la retraite ne fait partie de son vocabulaire – et je ne dis pas que ça soit l’idéal à atteindre).

La différence d’âge moyenne entre conjoints est de 2,5 ans mais pour celles qui vivent avec un homme qui avait refait sa vie, elle peut-être bien plus grande. C’est ainsi qu’à 50, 55 ou 60 ans, il y a une multitude d’hommes retraités qui vous accompagnent. Je sais que cela vous demande un vrai ajustement sur le plan privé : vivre avec quelqu’un qui ne se lève plus pour aller travailler et dont l’identité sociale se retourne comme une crêpe risque de vous affecter directement.

Les chômeurs, déjà, connaissent ce sentiment de décalage et d’inutilité, même s’ils sont rémunérés – à peu près comme s’ils étaient à la retraite, d’ailleurs. Les uns ont la pression de retrouver un job, les autres celle de ne pas perdre la santé, tous doivent accepter (endurer ?) un nouveau statut et faire en sorte de leur conjoints, enfants, entourage et amis l’acceptent aussi.

Actif ou inactif, cherchez l’erreur

L’organisation sociale, les générations, les cultures, les us et coutumes sont des constructions qui varient d’un endroit à l’autre mais qui s’insinuent dans nos veines comme des virus entêtés. Partout et toujours, chaque groupe qui émerge définit ses propres normes, finissant par se télescoper dans un intense brouhaha de valeurs conflictuelles qui se manifestent dans nos doutes, nos avancées et nos reculs.

Concernant la retraite, je connais cependant très peu de personnes qui ne se contentent pas de la considérer comme une juste rétribution d’une longue suite de cotisations assortie de déboires pour pouvoir s’y tenir. C’est un gain financier avant tout, un avantage durement acquis que l’on ne peut pas refuser. « Gagner sa vie » a été un devoir personnel, l’utilité sociale du travail venant largement ensuite.

Je trouve difficile, en France, de clamer ouvertement que je crains la retraite, que je considère comme un genre de punition que je ne mérite pas, à cause de cet immense écosystème qui la valorise. Je ne reproche rien à quiconque, évidemment, surtout à ceux qui sont vermoulus après des décennies de labeur physique ou de travail éprouvant.

Mais voilà : je fais partie d’une génération de femmes qui ont plutôt sous-performé, au travail et à la maison, pour de multiples raisons que vous connaissez déjà.

Donc de mon point de vue, renoncer définitivement à ce qu’on n’a jamais eu l’occasion de mettre en œuvre sur le long terme (créativité, pouvoir, leadership, etc.) est une mauvaise stratégie. C’est valider officiellement que les femmes, en particulièrement les mères, ne peuvent pas et ne pourront jamais véritablement exercer l’amplitude de leur intelligence.

Elles sont forcément rattrapées d’abord par leur famille (une grande partie de l’âge adulte), puis par cette fameuse retraite qui va tomber chaque mois sans faute, jusqu’à ce que notre cœur cesse de battre. On ne peut décemment pas la refuser sans trahir des siècles de luttes sociales, et pourtant elle pourrait bien nous couper les ailes alors nous sommes en pleine possession de nos moyens. Il faut être complètement sonné pour refuser ce à quoi on a droit et choisir de bosser davantage, non ?

Les femmes sont à part : le système n’est pas pour nous

Peut-être que je me fais des idées et qu’en fait, je suis la seule à ne pas trouver drôle l’idée de ne plus avoir de planning professionnel rempli de deadlines plutôt que d’emploi du temps rempli de distractions.

Vous n’êtes pas d’accord, vous pensez que vous avez donné et reçu le meilleur professionnellement ? Imaginez donc un seul instant à ce qu’aurait été votre carrière si vous aviez été un homme plutôt qu’une femme. Ne vous y trompez pas : j’adore être une femme, et je n’aurai jamais renoncé à porter des enfants – parce que c’est la seule chose que les hommes ne peuvent pas faire et qu’il s’agit donc de notre privilège réservé. Mais je sais que cela m’a ouvert à des questionnements et conduit à des remises en cause que mon mari n’a pas eues.

C’est précisément cela qui me perturbe : pousser les femmes vers la sortie en leur promettant une pension bien méritée (nettement plus faible que celle des hommes, entre nous soit dit), de multiples activités de loisirs et l’impératif omniprésent de « prendre soin de soi », leur évitant de se mêler de la marche du monde, si par hasard elles avaient quelque chose à dire.

Notre trajet de vie est unique

Pourtant, qui d’autres que les femmes quinquas et sextas peuvent contempler leur société, à la fois sur un large plan et dans le détail ? On a connu plusieurs révolutions techniques, d’énormes changements de mœurs et l’envolée des valeurs individualistes – et on les a décryptés pour nos enfants, en essayant de faire en sorte qu’ils en profitent plutôt qu’ils n’en dépérissent.

Je sais, je sais, je sais. Cela faisant on a utilisé notre intelligence et notre sensibilité. Mais gratuitement. Je vous rappelle que cela ne me dérange pas du tout de travailler gratuitement, je suis même une grande « bénévoleuse » – mais dans un monde organisé autour de l’échange monétaire, il y a peu de chances que cela me sauve un jour de l’invisibilité.

Ce qui est injuste, incompréhensible et parfaitement idiot, c’est la faible importance donnée par la société dans le fait d’élever des enfants, au point où des centaines de milliers de femmes y renoncent. Du coup, quand on arrive à l’orée de ses 60 ans comme c’est mon cas, plutôt que d’être satisfaite d’avoir vécu pleinement son rôle de mère et son rôle de professionnelle, on a l’impression de n’avoir eu qu’une demi-vie.

Est-ce que ces femmes qui ont renoncé aux enfants vont finir par s’avouer la même chose : elles aussi auront eu une demi-vie ?

Terrifiante question, n’est-ce pas.

Le rôle des femmes n’est pas de boucher les trous 

On voudrait bien nous convaincre que tout cela est un débat du XXème siècle, qu’aujourd’hui chacun fait comme il le veut sans chercher midi à quatorze heures. Mais je n’y crois pas un instant. Quand la baisse de la natalité remettra en question la totalité du système de financement de la vieillesse et que chacun devra se débrouiller seul pour assurer ses vieux jours, on regardera l’émancipation des femmes d’un autre œil – et pas forcément du bon.

Le rôle des femmes change selon les saisons : il sert de variable d’ajustement social. Il est une ressource que l’on modifie selon les besoins, systématiquement avant de considérer autre chose. On est ballotée au fil des modes, des générations, des déficits, des découvertes ou des déménagements, tout est bon pour qu’on s’adapte aux circonstances grandes et petites – tandis que la carrière des hommes s’enracine irrésistiblement.

A nous, à moi, de nous transformer quand le temps est venu, et de transformer l’environnement que nous avons construit. Mes chères lectrices, je m’emballe toujours un peu quand je constate que la vie est moins riche que ce qu’elle devrait être. Je voudrais que chacune d’entre vous s’exprime à plein dans le monde qui nous entoure. Ne renoncez à rien de ce qui vous tient à cœur, semez vos graines chaque jour, parfois un peu, parfois beaucoup. Le jardin que vous créez est joyeux, fertile et prospère. Et il résiste aux hivers les plus rudes, je le sais bien.

Et pour conclure, demandons à ChatGTP

Et voilà ce que ChatGTP me régurgite (en 2 secondes top chrono) quand je lui demande de me faire un résumé structuré de l’article. C’est un peu sec évidemment – bien qu’il y ait plein de gras, beaucoup trop à mon goût – mais c’est impressionnant : 

  1. Déclencheur d’une réflexion existentielle
  • L’approche des 60 ans provoque chez l’auteure un malaise profond, accentuant un cycle récurrent de remise en question personnelle, comme à la fin d’une « saison intérieure ».
  • L’auteur ressent une pression temporelle forte, liée à l’idée d’un passage irréversible de vie active à l’inactivité.
  1. La retraite perçue comme une menace, non une libération
  • Contrairement à l’idéal français, la retraite lui apparaît comme un piège, synonyme d’inutilité sociale et de vide existentiel.
  • L’auteure dénonce l’injonction sociale à « profiter » passivement et la difficulté de se distinguer d’une masse de retraités qui s’installe dans son entourage.
  • Elle rejette l’idée de vivre de loisirs et de dépendance financière vis-à-vis des générations suivantes.
  1. Inégalités de genre face au travail et à la retraite
  • La retraite devient un second renoncement pour les femmes, après une vie marquée par des sacrifices professionnels liés à la maternité et à la charge mentale.
  • Elle critique une société qui sous-évalue l’éducation des enfants, reléguant les femmes à une demi-vie (ni pleine carrière, ni pleine reconnaissance).
  • La retraite serait une forme d’éviction déguisée du débat public pour les femmes quinquagénaires et sexagénaires.
  1. Perspective sociale et générationnelle
  • L’auteure souligne l’évolution des normes sociales selon les pays, les époques et les générations, et comment cela façonne notre rapport au travail et à l’âge.
  • Elle observe un choc des valeurs entre devoir, épanouissement personnel et pression collective.
  1. Appel à la résistance et à la fertilité intellectuelle
  • Elle encourage les femmes à ne pas se résigner, à continuer à se rendre visibles, à créer et semer dans la société.
  • Le travail gratuit (bénévolat, éducation) ne doit pas être synonyme d’invisibilité.
  • Le message final est un appel à la vitalité, à la création continue, malgré l’âge ou les normes imposées.

La totalité de ce blog est consacrée au renouveau des femmes et des mères après 50 ans : ménopause, vieillissement, alimentation, carrière, amies, sexe… Je traite de la multitude de sujets qui nous préoccupent, sur une centaine d’articles. Mais avant tout, abonnez-vous à ma newsletter du dimanche matin : je me lève tôt pour vous donner des idées, du courage et de la joie !

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    4 replies to "Quelque part entre un ciel plombé et la saison dorée"

    • Sophie G

      Merci de ce bel article sur un sujet bien sensible et très personnel. Encore pleine d‘envies de faire, je ne retrouve pas un nouveau souffle actuellement, j‘essaye plein de pistes et m’y épuise 🌷 il s‘agit je pense de trouver un juste milieu entre une posture de senior assumée et une force de l’âge encore bien présente malgré l’arrivée de petits bobos 😘 courage ! A l‘ouvrage ! Bel anniversaire chère amie ! Jumelles de mai ☀️

      • Véronique

        Bon anniversaire Sophie ! Une posture de senior ET la force de l’âge, c’est une belle combinaison que chacune d’entre nous doit s’efforcer de trouver et d’entretenir. « Posture et force » : c’est fait pour nous. Voilà deux mots à se répéter chaque matin, et à mettre en oeuvre, dans son coeur, son corps et son cerveau !

    • Anne

      Merci Véronique de prendre la parole dans ce nouvel article. je suis touchée par cette analyse ou je me retrouve étant exactement dans cette tranche generationnelle ! le « Rythme Retraite » comme présenté dans notre société ne me comble abolulent pas. Je me définis plus comme une utilitariste …. ayant combine avec énergie famille travail associatif …. et maladie déménagements adaptation . J’ai pas envie de freiner mon rythme je veux enfin profiter d’un salaire correct qui me donne enfin la latitude et de l’indépendance de faire ce que je veux ! mais quel sens donner à ces années prochaines que je vois arriver comme un couperet avec ma carriere gruyère !!! le résumé IA est surprenant !! et finalement complete votre article . bon dimanche

      • Véronique

        Merci Anne ! La carrière gruyère, c’est ce qui arrive à la plupart d’entre nous. Ca ne serait pas un problème (et ça serait même formidable car on aime beaucoup la variété et la diversité) si chacun de nos actes étaient reconnus: famille, travail et associatif. C’est un mode de vie qui est propre aux mères, finalement, et que l’on devrait valoriser en tant que tel auprès des jeunes, pour qu’ils et elles ne soient pas déçus en ayant l’impression de ne pas être présents totalement sur la scène publique. Seule le fait d’être payé semble compter… ce qui veut dire qu’il faut s’arranger pour que les mères soient payées aussi !

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