Les relations parents-enfants, une fois que l’adolescence est terminée, ne vont pas de soi. La mode actuelle, au XXIème siècle, est de se protéger avant tout, donc de s’éloigner ou de rompre des parents « toxiques » si on estime qu’ils nous ont pourri la vie. Chacun étant responsable de son propre bien-être en tant qu’adulte, il est tentant d’accuser notre mère ou notre père de ne pas avoir produit assez d’efforts pour nous, de ne pas avoir semé et entretenu ces graines de confiance ou de sérénité dans nos veines de petite fille.

Pourtant prendre soin de soi avant de prendre soin de l’autre – cela signifie qu’il y a un ordre dans lequel notre attention doit s’appliquer. Moi, puis toi. C’est une formule en deux temps. Cela n’implique absolument pas que l’on ne s’occupe que de soi mais exactement le contraire : « mieux je m’occupe de moi, mieux je prends soin de toi ». Ce qui sous-entend que nos parents fuyants ne s’étaient pas suffisamment élevés eux-mêmes… au moment où ils nous ont élevés nous.

Faisons le tour de cette question complexe, dans une perspective de femmes quinquas dont les parents vieillissent ou sont déjà partis. Peut-on et doit-on régler des conflits parentaux vieux de quarante ans ?

Accepter ce qu’a été la relation, même douloureuse

Il tentant d’entretenir au fond de nous-mêmes une échappatoire, qui nous convainc que la vie inégale ou compliquée qu’on a eu n’est pas notre faute mais celle de nos parents.

Mon expérience personnelle me susurre qu’accepter la réalité de nos relations avec nos ascendants est essentiel, même si cela est souvent tardif. La maladie et l’approche de la mort incitant à baisser les armes, nombreuses sont celles d’entre vous qui découvrez la vérité de vos parents alors qu’il est déjà bien tard. (J’en profite pour vous implorer de vous révéler pleinement à vos enfants dès aujourd’hui).

Couper les ponts évite de devoir communiquer, composer et dialoguer dans la rancœur et le ressentiment, mais cela ne supprime pas le fait d’oublier totalement ses parents – de ne plus y penser. La mémoire ne se vide pas sur commande.

Le monde entier nous signale à longueur de journée que chacun a un père et une mère. La vie quotidienne des autres nous force à nous remémorer ce que nous aurions voulu rayer de notre vie. Et chaque contrariété non résolue nous pousse à utiliser le prétexte de nos vilains parents pour ruminer et nous victimiser, plutôt que de choisir d’assumer nos faiblesses et d’apprendre à les transformer en forces.

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Se mettre dans la peau de nos parents à leur époque

On ne devient soi-même un parent honnête qu’en observant finement l’enfance que nous avons eue. Cela est possible en se mettant à la place de notre mère et de notre père, dans le contexte de leur caractère, de leur couple, de leur environnement et de leur époque.

Tous les parents ne sont pas toxiques ni malades mentalement, tous n’ont pas baissé pas les bras devant nous, tous n’ont pas eu la claire intention de nous laisser sur le carreau avant que nous ayons la chance de devenir grand. Les mauvaises relations qui restent ancrées dans nos souvenirs sont souvent le fait de raisons qui n’ont rien à voir avec nous mais avec le contexte.

Les femmes de ma génération ont souvent eu des mères jeunes, qui ont fait des enfants sans y être particulièrement préparées. Pas plus qu’elles n’étaient préparées à la vie de couple, d’ailleurs, de même que leur mari. Les enfants venaient, il fallait les nourrir, les laver, vérifier qu’ils fassent leurs devoirs scolaires et leur inculquer une autonomie matérielle le plus vite possible. Ils comprendraient bien tous seuls les principes de réalité : la vie est dure, on est seul au monde, il ne faut pas trop se plaindre si on veut être pris en compte. D’ailleurs nous, aujourd’hui, n’avons-nous pas tendance à nous laisser déborder par le quotidien et à privilégier les aspects matériels plutôt que relationnels ?

La place des enfants dans la parentalité malsaine

  • Nous n’avons jamais eu le pouvoir de transformer, par notre simple existence, notre mère en personne étrangère, indifférente ou dévorante, ni notre père en salaud violent.
  • Nous n’avons pas changé ces personnes, nos géniteurs, en individus médiocres et décevants.
  • Nous ne sommes pas responsables de leur bêtise ou de leur déficience en tant que parent.
  • Nous ne méritons pas et n’avons jamais mérité d’avoir eu à subir leur comportement, pas un seul instant.
  • Ce qui fait que quoi qu’il arrive, nous n’avons pas de devoir envers des parents qui ont abusé de notre innocence.

Ces mauvaises relations qu’ils ont laissé se créer entre eux et nous, ils en sont à la fois entièrement responsables et partiellement excusables : sans doute n’avaient-ils pas le courage de les nommer ni de les résoudre. C’est terrible de réaliser que ces adultes qu’ils étaient n’ont pas su montrer l’exemple, qu’ils n’ont pas été dignes d’être suivis ni admirés, qu’eux-mêmes affichaient un comportement fragile, dépendant, inapproprié… qu’ils n’étaient pas si adultes que ça, finalement.

Un enfant innocent qui se moule sur le comportement d’un parent irrespectueux, c’est tellement triste à voir. Mais ça arrive souvent. Chaque personne qui désire avoir un enfant doit pouvoir exprimer avec recul et sensibilité sa relation avec ses propres ascendants de façon à ne pas répéter ce qu’il a connu. Heureusement la consultation chez les psys s’est largement répandue et se trouve beaucoup moins stigmatisée que lorsque nous étions jeunes.

Les mères, à la fois héroïnes et souffre-douleur

C’est ainsi que les mères, surtout solos, qui se retrouvent avec la charge d’une double journée assortie d’horaires épuisants, peuvent laisser auprès de leur descendance compatissante la conviction qu’elles se sont sacrifiées. Mais il arrive aussi qu’elles aient été perçues comme trop faibles ou trop dures, contradictoires, amères, tristes – incapables d’écouter ou de prendre la vie avec tranquillité, imposant leur méthode, leurs principes et leurs doutes de façon unilatérale, par volonté d’efficacité avant tout et pour se protéger du monde extérieur, agressif et malveillant à leur encontre.

Évidemment, beaucoup de mères seules s’en sortent bien tandis que d’autres apparemment mieux loties, avec un conjoint et un compte en banque, se sentent bridées… et brident à leur tour le développement de la personnalité, de la liberté et de la créativité de leurs enfants.

Un élément fondamental leur a manqué de façon irrémédiable : le temps, l’accumulation des heures, le partage simple et paisible, sans deadline ni d’autre raison que celle d’être ensemble, de mener ses occupations côte à côte, de s’observer et de se comprendre. Et ce temps « perdu », qui n’est pas mis à profit dans une activité rémunérée ou pas, peut ne jamais être pris ensemble… et engendrer un vide affectif qui ne fera que prospérer au fil des années.

C’est ainsi qu’on a la sensation que nos parents ne pourront pas se corriger, qu’ils sont handicapés du cœur, qu’ils ne sauront jamais considérer notre réalité, avec nos yeux. On s’imagine qu’ils nous connaissent peu, et c’est souvent vrai. Nombre de personnes avouent qu’elles ont l’impression que leurs parents ne sont pas les leurs, qu’elles sont étrangères à leur famille, incomprises à jamais.

Couper les ponts n’est pas résoudre

Couper les ponts avec ses parents est de plus en plus accepté (et probablement de plus en plus fréquent). Les statistiques varient, mais environ 1 enfant sur 10 interromprait ses relations avec sa mère et 1 sur 4 avec son père, estimant qu’ils n’ont pas tout mis en œuvre pour leur bien-être. On sait qu’à éducation égale, tel enfant sera heureux et bien dans sa peau, tandis que tel autre conservera toute sa vie une forme de ressentiment, avec de multiples exemples à l’appui qui l’ont fait souffrir hier ou aujourd’hui… alors que l’autre n’y verra pas de mal ou accordera plus facilement son indulgence.

Est-ce que couper les ponts avec ses parents est un signe de faiblesse, incapable que l’on est d’affronter dans les yeux la réalité de son enfance et de faire une juste place dans sa mémoire, ni trop grande ni trop petite, aux souvenirs douloureux ? On leur en veut, concentrée sur nous-mêmes et les misères, parfois énormes et durables, que l’on a subies. Le pire, me semble-il, c’est d’accepter que nos propres parents ne aient ont pas reconnue comme une personne à part entière mais comme une charge ou un trophée – qu’ils aient négligé ou déformé notre intégrité.

Couper les ponts pendant quelque temps, un an, dix ans, est fréquent, le temps qu’eux, ou nous, évoluent et acceptent à nouveau d’échanger malgré les différences et les incompréhensions. Le temps, surtout, que notre mère ou notre père concède et admette qu’il ne nous a pas respecté en tant qu’enfant, même s’il demeure incapable de savoir pourquoi.

L’enfance dure 10 à 20 ans. Profitons des décennies qui suivent pour construire autre chose et surpasser ces manques et ces plaies qui réapparaissent au fur et à mesure que la vie se révèle. Ils disparaitront un jour, au contact de la personne qui les a provoquées, quand notre mémoire fusionnera avec la réalité de ce qu’elle est devenue – et que nous nous fabriquerons ainsi une nouvelle perspective.

L’intimité familiale, unique et aléatoire

Comme il est difficile d’être incomprise ou rejetée par son père ou sa mère.
Comme c’est injuste et comme cela nous tourmente !
Non seulement on ne choisit pas ses parents, mais en plus il faut les supporter tels qu’ils sont. 

Alors qu’est-ce qui nous oblige à conserver les liens ? Il y a une sorte d’intimité que l’on ne connaitra qu’avec ses parents et ses enfants. Une intimité de circonstance, qui n’est pas supposée nous plaire mais dont on sait qu’elle est nécessaire, qu’elle ne peut être brisée. 

Cette intimité bancale et hasardeuse n’est supportable qu’avec l’amour qui émerge de part et d’autre. L’amour doit émerger des entrailles de la différence. L’amour créé l’échange et l’interdépendance. Il nous permet de prendre et de donner, de trouver chaque jour un équilibre dans cette relation imposée – mais paradoxalement naturelle puisque qu’elle est le fruit de la biologie.

Comment extrait-on l’amour enfoui de son cœur ? J’aimerais beaucoup vous le dire si je le savais. La seule chose qui me semble efficace, c’est de le vouloir. Il faut vouloir aimer. C’est pour cela qu’il est si cruel de réaliser que cet homme ou cette femme, dont la chair nous a créé et qui s’est métamorphosé en père ou mère dans le même temps, ne voulait pas nous aimer mais juste nous modeler.

Dans une époque où tout se choisit, y compris le fait de procréer et celui de mourir, on ne peut pas choisir ses parents. Eux décident de nous faire naître ou pas, mais une fois vivant, ils n’ont plus qu’à faire avec la réalité de ce que nous sommes. Il me semble que cette grande loterie de la fabrication humaine constitue ce qu’il y a de plus précieux sur terre, précisément parce qu’on ne pourra jamais la substituer. On est absolument obligé de la prendre telle qu’elle et de s’en arranger au mieux – grâce à une capacité fondamentale qui s’appelle la créativité.

Et avec nos propres enfants ?

Et nous, savons-nous entrer dans le monde intérieur de nos propres enfants ? Savons-nous les regarder de leur point de vue, avec leurs sens et leurs intérêts – pas les nôtres ? N’avons-nous pas tendance à leur poser des étiquettes et à les apprécier par la négative – peureux ou prétentieux, impulsifs ou lents, timides ou superficiels, influençables ou inadaptés, intellectuels ou naïfs ?

L’éducation française est très portée à la critique des autres et de soi-même, comme si cela allait nous donner un meilleur jugement et eux un meilleur élan. En réalité, on les note comme s’ils étaient en classe. C’est logique : comme on ne les accompagne pas à longueur de journée (même si les femmes comme les hommes passent de plus en plus de temps avec leur enfants) il faut trouver des grilles qui nous permettent de repérer où ils en sont, et vite. Ce sont les clichés, les habitudes, les ambitions, les jugements que nous avons subis, les pressions que nous nous donnons à nous-mêmes et le désir qu’ils acquièrent ce que nous n’avons pas pu posséder, qui nous les fournissent.

Et même avec beaucoup d’heures à disposition, certains parents ne sont pas intéressés par la personnalité réelle de leurs enfants, mais par ce qu’elle devrait être. Les enfants sont la cible idéale pour tester nos principes de vie et valeurs diverses, notamment ceux que nous n’arrivons pas à appliquer à nous-mêmes.

Réciproquement, certains d’entre eux développent très jeunes un don d’observation et sont très conscients de ce qu’ils peuvent faire/dire à leurs parents. Cette prudence leur donne un sentiment relatif de sécurité qui leur permet de passer entre les gouttes d’une toxicité réelle ou perçue.

Se contenter de leurs réactions spontanées n’est pas suffisant pour les connaitre, il faut apprendre à repérer leurs cycles de comportement – ce qui revient sans cesse, au-delà de la raison, sous l’effet des coups du sort ou d’une intention souterraine. Identifier les éléments de la personnalité de ses enfants, leur démontrer que chacun possède une capacité à s’adapter et à changer (c’est-à-dire à grandir), c’est indispensable. Nos parents ne l’ont pas toujours fait, à notre grand désespoir. Cela leur était moins prioritaire que d’autres aspects de l’éducation.

Reprendre contact pour ne pas regretter

Évoluer ensemble, en dansant un tango imparfait, pour sceller entre eux ces anneaux épars que nous sommes, cela justifie le fait de ne pas couper les liens d’avec ses parents de façon définitive. Une rupture temporaire, le temps que l’un ou l’autre se transforme, permet en revanche de muer tranquillement… à condition de s’obliger à revenir un jour. Et d’être prête à accepter sans honte ni haine la personne qui sera devant nous.

Ne jamais revenir vers ses parents et apprendre qu’un jour ils sont morts ou gravement malades, c’est perdre l’occasion de nouer, dénouer ou renouer un fil important et tordu de notre existence et de se recomposer soi-même. Même si cela n’aboutit nulle part, au moins on aura fait preuve de courage et d’ouverture, et on n’aura rien à regretter.

Le fait que la parentalité soit largement étudiée et prise au sérieux et que les parents consacrent de plus en plus de temps aux enfants qui sont moins nombreux, signifie que les dissensions pourraient devenir moins fréquentes. Je serai curieuse de voir la nature de ces relations, qui sont tellement importantes dans nos vies, dans 20 ou 30 ans. Croisons les doigts.

La totalité de ce blog est consacrée au renouveau des femmes et des mères après 50 ans : ménopause, vieillissement, alimentation, carrière, amies, sexe… Je traite de la multitude de sujets qui nous préoccupent, sur une centaine d’articles. Mais avant tout, abonnez-vous à ma newsletter du dimanche matin : je me lève tôt pour vous donner des idées, du courage et de la joie !

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Avez-vous déjà rompu les ponts avec vos parents ? Avez-vous pu reprendre les relations ?

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    3 replies to "Accepter ses parents pour le meilleur et pour le pire ?"

    • Nat

      Bonjour
      cet article reflète exactement ce que je suis en train de vivre. Suite au départ de ms fille à l’autre bout du monde et 3 années de préparation de sa nouvelle vie au cours desquelles ma mère a émis des doutes et tenté de saboter ce projet, j’ai coupé les ponts avec ma mère. J’avais encaissé jusque-là pour que ma fille ne se culpabilise pas et au pire renonce à son projet de vie. Cela fait 3 mois et demi. Après un syndrome de nid vide en passé d’être dépassé depuis une quinzaine de jours et beaucoup d’introspection, je commence à envisager une future rencontre avec ma mère. Et votre article m’aide dans mon processus. En effet, je te te de dépasser mon état d’esprit de victimisation pour assumer ma part de responsabilité. Car aujourd’hui, contrairement pendant mon enfance et mon adolescence, en tant qu’adulte de 50 ans, je peux décider du pouvoir que les autres exercent sur moi. Ceci relève de ma propre responsabilité. Avant le retour de ma fille, j’envisage dans un peu plus d’un mois de proposer une discussion à cœur ouvert (sans attentes de ma part et avec un partage de ressentis que j’espère dans la réciprocité) pour ne pas être dans le regret et surtout pour avancer et grandir pour moi-même. La peur est bien évidemment là (en fait elle a toujours été là, raison pour laquelle je suis dans cette situation) mais je veux qu’au moins une fois dans ma vie je trouve le courage d’être authentique et tant pis si je ne suis pas acceptée en retour. Je suis prête à renoncer à mes attentes de parents parfaits. Merci pour cet article qui arrive à point nommé dans ma vie. Il me donne une dose supplémentaire de courage…Belle journée à vous.

      • Véronique

        Merci beaucoup Nat. Je vous envoie des tonnes de courage et de patience, car les relations avec nos parents, de même de celles avec nos enfants, durent toute la vie (la nôtre). On ne cesse de se rattacher à nos ascendants et descendants jusqu’au bout. A nous de transformer ce fait en opportunité plutôt qu’en fardeau. Plus « j’avance dans la vie », comme on dit, plus je vois qu’il est important de résoudre, même très lentement, nos conflits avec notre famille. C’est aussi une façon de leur prouver, à nos parents comme à nos enfants, que nous sommes sains d’esprit et de coeur, fiables et sereins, et c’est un formidable cadeau de confiance à leur faire. Bonne journée à vous !

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